René Rovera

Grand Raid de la Réunion 2018

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La Diagonale des Fous ! 165Km +9576dev

La première fois que j’ai entendu parler de cette course le programme était déjà corsé : la course faisait à l’époque 110km et les locaux y étaient quasi intouchables !
2018, la course est devenue un mythe et tout Traileur d’Ultra distance rêve d’y user un jour ses chaussures !
Sylvain dit très justement qu’aucun caillou n’est posé dans le même sens que l’autre !
Pas de place aux athlètes mal préparés, ni aux chevilles ou au mental fragiles !
La ”Diag”, comme on dit dans le milieu, n’est pas une course comme les autres !
Son tracé, son histoire respirent la mission impossible.
Ce n’est pas pour rien que les premiers habitants de Mafate furent des esclaves en fuite : les Marrons. L’inaccessibilité du terrain en est la principale raison.
Aujourd’hui les choses ont changé, tout le monde peut arpenter les chemins. Jeunes, vieux, petits, grands, noirs, blancs, maigres ou gros, mais une chose n’a pas vraiment changé, c’est la difficulté de ces chemins !

Acte 1 : Saint Pierre/Cilaos

Il est 22h ce jeudi 18 octobre, la température est bonne et comme à l’accoutumée l’ambiance est électrique sur le boulevard ! Les visages sont tendus et brillants. L’UTMB a laissé un goût d’amertume en moi, ce sera mon cinquième Ultra et pour le moment le constat n’est pas très glorieux !
2 finish en mode survivor et 2 abandons !
Pas de quoi se prendre pour un autre. Pourtant je me sens calme, pas trop tendu, j’ai juste envie d’en découdre !
Nico m’a prévu un Top 20 minimum, il faut qu’on ait matière pour la suite. La tactique est simple : partir tranquille et tenter de revenir régulièrement dans la course après Cilaos.
183ème au premier pointage après un départ dans une ambiance incroyable, j’ai les aéro-freins en permanence, les yeux rivés à mon cardio. Il n’y a que deux choses importantes à ce moment de la course : les puls et la bouffe ! Le reste, j’y suis complètement hermétique.
Je détourne de temps à autre mon regard du chemin pour regarder la baie de Saint Pierre qui petit à petit s’offre à nous.
Domaine Vidot, premier ravito. 175ème, mes ravitailleurs ont même pensé un moment m’avoir loupé ! 😉
”Ahh René t’es là !”
Je les sens soulagés, moi dans ma bulle je répète avec précision les gestes de mon ravito. Tout a été minutieusement préparé et répété dans ma tête, pas de hasard.
A la sortie du ravito, un homme à moitié ivre me lance un encouragement et me dit en titubant :
”Ohla … oh il faut se couvrir mon gars !
Je n’ai pas froid, je suis à l’écoute de mon corps mais son message va retentir en moi comme un message divin !
Si lui qui doit pointer à 2 grammes d’alcool me dit qu’il fait frais et qu’il faut se couvrir, il le faut !
Je remonte les manchettes, couvre ma tête, enfile un petit gilet sans manches et je fends la nuit, un champ d’étoiles sur la tête.
Elle ne fait que commencer et je sais qu’il va falloir être patient, Je double et je redouble, progressivement je remonte dans le classement mais je ne sais pas à ce moment-là à quelle place je me trouve. Ce que je sais par contre c’est que beaucoup de personnes me suivent en métropole et je me dis qu’à chaque pointage ils vont frémir de plaisir.
Pas le temps de se sentir seul et de gamberger, j’ai toujours un coureur devant et derrière moi et mon esprit de compétition en a pour son plaisir.
Le jour se lève doucement à l’approche de la descente qui nous mènera à Cilaos. Je n’ai pour le moment commis aucune erreur, les jambes sont toujours bonnes. Je plonge sur Cilaos, l’expression n’est pas faible ! Par moment les pieds du coureur de dessus sont à la hauteur de ma tête, c’est raide et ça tournicote dans tous les sens. Les ruelles de Cilaos m’annoncent le ravito que j’attends un peu plus que les autres. Mon staff sera là ! Anne-Claire est là en premier et tente de faire un premier live sur ma page FB, elle sourit et je sens qu’elle est contente autant que moi, Elle me prévient : « Viviane est juste après le ravito général, à la sortie du stade »
Je traverse le ravito, sors du stade et cherche du regard Viviane et Emmie ! Personne !
Et puis entre deux salves d’applaudissements, j’entends une petite voix derrière moi qui m’appelle furtivement : ”René !?”
Je me retourne d’un bond. C’est Viviane et Emmie 🙂 assises sur un petit tabouret dans un coin, elles sont là !
Quelques échanges pour dire que tout va bien. Les gestes que l’on avait auparavant répétés avec Viviane sont dans un ordre méticuleux et précis. Je vide mon sac, je remplis mon sac, je checke les pieds et enfin je mange en écoutant les infos de course que Viviane me donnera. Emmie tient dans ses petites mains le pot de purée qu’elle me tend avec sa cuillère pour que je mange.
Emmie entre mes jambes, j’écoute Viviane qui me briefe sur ma position et la situation de course.
Je suis 67ème ! J’ai gagné 116 places depuis le départ sans avoir vraiment rien fait pour !
La course maintenant va vraiment commencer pour moi !

Acte 2 : Sentier du Taïbit/Maïdo

Une fois sorti de Cilaos la musique n’est plus la même et je le sais. On va devoir arpenter le sentier du Taïbit, franchir son sommet pour rentrer dans le ”ventre” de l’ogre ! Mafate ! Les premiers signes de chaleur apparaissent, il ne faut pas réfléchir, tu appuies sur les cuisses et tu montes ! Le sentier est avalé sans broncher, je sens que maintenant je ne suis plus dans la même course. J’ai les crocs et tout ce qui est devant moi doit se retrouver derrière moi ! Marla est là dans le fond du cirque, que c’est beau ! On a l’impression de basculer dans un autre monde, une autre civilisation. J’y pointe en 54ème position avec un accueil toujours aussi chaleureux, plein de bienveillance et d’encouragements ! Bonne fête Monsieur René !
C’est vrai que le 19 octobre c’est la Saint René ! Pour le coup j’espère que ça ne va pas être ”ma” fête dans ce grand cirque naturel.
Dans ma tête je ne pense plus qu’à une seule chose, la fin de l’acte 2 et son sommet du Maïdo ! Il faut sortir de Mafate, vite, propre et déterminé. Sentier Scout, Ilet à Bourse, Grand place, je pointe à la 31ème place ! Ça tape ! Le soleil et la chaleur m’obligent à faire des petits arrêts à chaque petit cours d’eau pour me rafraîchir ! A ce stade de la course je n’ai pas encore eu la moindre sensation de moins bien. Le tronçon terminal qui remonte vers Roche Plate sera le premier moment où je dois plus me battre et me rentrer dedans, c’est plus dur :
”Oh René qu’est ce que tu fous ?! Arrête de marcher, cours bordel !!”
Roche Plate est là, ravito express, les doutes repartent aussi vite qu’ils sont arrivés, je suis dans un bon jour et bien dans ma course ! J’attaque le Maïdo en 24ème position ! Je me jette dans la bataille, avec respect mais déterminé ! Il ne s’agit pas de faire n’importe quoi, le Maïdo n’est peut-être pas la plus dure des ascensions sur cette course mais elle est à coup sûr un moment clé de la course. J’attaque l’ascension sur un bon rythme, c’est dur. Quelques sensations de crampes viennent parfois surgir dans mes cuisses mais je n’ai pas peur, j’avance ! A l’approche du sommet, je vois Germain et Katie assis sur le bord du chemin, je comprends alors que Germain a dû abandonner… J’échange deux mots au passage et je continue ma route.
Le sommet est là ! Super ! L’acte 3 va pouvoir débuter et je suis toujours dans le coup !
Anne-Claire est là avec mes ravitailleurs. C’est toujours aussi bon de ressentir dans les yeux d’une personne qui attend depuis des heures ton passage, voir dans son regard la surprise et la joie. Elle s’agite en te faisant de grands signes : c’est par là, c’est par là !!
La musique est toujours la même. Un, je vide mon sac, deux je le remplis, trois je checke mes pieds et je mange à l’écoute des informations que j’attends de connaître.
Les frangins Seb et Sylvain continuent leur périple en duo, ils sont dans le top dix tous les deux. Tout va bien pour le Team Garmin à ce moment de la course. Je suis le troisième homme et je sais qu’en plus du résultat personnel nous visons une place par équipe. On en parle depuis longtemps de ça ! Je ne vais rien lâcher, pour moi, pour le Team !
Un petit vent juste avant de repartir m’oblige à passer un petit coupe-vent par prudence. J’attaque la descente vers Sans Souci avec sérénité et détermination. Je suis maintenant 20ème !! Je pense à Nico et je sens que je peux encore faire mieux.

Acte 3 Maïdo/La Redoute

La nuit commence à tomber doucement et les premières lumières des agglomérations apparaissent au loin. Après le ”ventre” de Mafate retour à une autre civilisation. Sans Souci est là, Viviane et Emmie aussi 🙂 ! Comme avec Anne-Claire, je vois dans les yeux de Viviane de la joie, elle sent que les choses vont bien. Elle vit l’aventure d’une autre manière que moi mais on est dans le même bateau. Je vide, je remplis, je checke, je mange et j’écoute. Seule modification au programme, cette fois-çi je change chaussettes et chaussures qui sont au bout du rouleau. Emmie est à fond, elle connaît sa mission, donner la purée et la cuillère à son papa. 🙂
Il me reste 40 kilomètres avant la Redoute et je sais que maintenant les places vont être encore plus dures à conquérir mais c’est encore possible. Je ne lâche rien, chaque frontale aperçue au loin devient un objectif à atteindre à court terme.
Le corps répond toujours assez bien. Cet acte 3 n’est ni le plus simple ni le plus agréable à courir. Les ravines se succèdent et on s’entend parfois vilipender les organisateurs d’avoir choisi tel chemin plutôt que celui qui serait un peu plus facile.
C’est la Diag, c’est comme ça, il ne faut pas se poser de questions et passer les obstacles sans cogiter, au risque de perdre le fil de sa course, de sa concentration.
Kilomètre 147, j’arrive à la Possession. Tout mon petit staff est là, présent. Viviane, Anne-Claire, Elsa et Emmie. Je reste debout et me ravitaille expresso. Dans le coin de mon œil droit je vois un coureur qui déboule lui aussi au ravito ! Ça fait 147km que personne ne m’a doublé, ça doit continuer ! Je termine mon ravito à grande vitesse et m’empresse de repartir. Je suis à la 15ème place. 🙂
Une longue ligne droite plate sur la route nous conduit au pied du fameux chemin des Anglais. Dans l’instant, je me souviens que dans une autre vie 🙂 j’ai été pistard et Triathlète alors j’allonge la foulée, ça court encore pas mal, j’ai les armes pour continuer à me battre si toutefois ce fameux gars parvenait à revenir de l’arrière. Dans le chemin des Anglais je m’entendrai encore une fois crier sur les organisateurs mais obnubilé par les deux frontales que je vois devant moi, je ne m’y attarde pas plus que ça.
14, 13 ce sera les deux dernières places que je réussirai à gratter sur ce sentier.
La Grande Chaloupe, le corridor de sortie vers la Redoute. Je continue sur un tempo soutenu pour être sûr que personne ne reviendra de l’arrière et j’atteins enfin Colorado, dernier point de chrono, dernier ravito, ça sent cette fois vraiment l’écurie ! 🙂
Et puis patatras ! Le fameux coureur que j’avais vu revenir de l’arrière à la Possession resurgit de l’obscurité tambour battant et entre aussi sur le ravito ! Ni une ni deux je jette ce que j’ai dans les mains, j’enfourne une fiole dans mon sac pour terminer et j’attaque la dernière descente avec ce qui me reste dans les jambes. Au bout de 5 minutes la frontale du gars se rapproche dangereusement et finit par recoller à mes baskets ! Purée c’est pas possible, je ne veux pas perdre ma place ! La descente est dangereuse et avec la fatigue les réflexes et les appuis ne sont plus les mêmes, je dois prendre des risques si je veux garder ma place ! Je me jette à droite, à gauche, j’accroche les arbres, les branches je m’en fous mais rien à faire il ne passera pas ! Je le distance de nouveau mais quelques virages plus loin il revient ! Va falloir aller jusqu’au bout comme ça, pas dit qu’un de nous deux n’y laisse pas une cheville ou une autre partie de lui sur une racine ou un rocher !
Tout à coup le gars me lance : ”Ohh !? Ne t’inquiète pas je ne suis pas sur la Diag mais sur le relais de la Zembrocal !!!!”
J’avoue que là j’ai pété une petite durite un instant et quelques petits noms d’oiseaux amicaux ont volé !!
”Putain t’es con ou quoi ?!:-) Tu peux pas me le dire avant, j’suis à deux doigts de me péter un os pour essayer de te lâcher depuis un quart d’heure !”
Dernière descente, dernière frayeur, dernier caillou, j’y suis enfin après 28h20’33 d’effort !
J’ai rempli mon contrat, j’ai enfin réalisé un Ultra plein du début à la fin. Je suis heureux ! Je termine les quelques mètres qui me séparent de la ligne d’arrivée avec Emmie qui se demande bien ce qui lui arrive ! Pour le coup, elle, c’est la deuxième fois sur deux qu’elle franchit une ligne d’arrivée d’Ultra 🙂 !

Dans une histoire il y a toujours des petits et des grands maillons et tous ont une importance pour la réussite d’un sportif comme je le suis. Quel que soit son niveau, son âge et son objectif il y a toujours quelqu’un derrière qui vous pousse à aller encore et toujours au bout. Il y a ceux qui étaient là et ceux qui étaient derrière. Alors j’aimerais prendre le temps d’énumérer tous ces petits et grands maillons pour simplement les remercier car sans eux rien ne serait pareil 🙂 ça peut paraître pour certains un peu pompeux mais je m’en fous 🙂
Viviane, Emmie, Anne-Claire, Elsa, Auro, Nico, Alex, Sébastien, Sylvain, Bruno, Aurélie, Germain, Katie et Daf et son équipe de ravitailleurs.
Mais aussi Julien, Audrey, Floriane, Eric, Guigui, mes parents, mes coachés, nos partenaires et vous tous, que j’oublie sûrement sur le papier mais pas dans mon cœur !