René Rovera

Ma semaine UTMB 2022 au bord du chemin

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Ma semaine UTMB 2022 au bord du chemin

interview réalisée le 14/09/2022

7 coachés, tous finishers :

  • Jo sur la PTL
  • Sylvain, Mathieu, Arnaud et Julien sur l’UTMB
  • Laurent sur la TDS
  • Emily et Paul sur la CCC

Comment as-tu abordé cette semaine particulière de l’UTMB 2022 ?

Difficilement, c’est sûr. Je suis avant tout un coureur. J’aime ce que je fais en tant que coach, j’aime transmettre, j’aime coacher et j’y mets toute ma passion, mais je reste avant tout un gars qui aime courir. D’ailleurs, j’ai hésité à faire ce métier de coach car je me disais que ce qui m’intéressait ce n’était pas de regarder les autres courir mais de courir ! C’était mon argument numéro 1 pour éventuellement ne jamais faire ça. Et puis finalement la vie a fait que j’ai pris cette direction-là et j’en suis très content. Mais ce qui était difficile, c’était de ne pas courir. Après, j’ai accepté, c’est passé… Non, ce n’est pas ça. Je crois que je ne l’ai pas accepté mais j’ai lâché, j’en ai pris mon parti. Je ne peux pas dire que je l’ai accepté car la manière ne m’a pas convenu.

Après, quand je me suis retrouvé là-bas, je n’étais plus en mode coureur, je venais sur un événement. J’ai tenu à être sur le terrain, à aller voir tous mes coachés. Quand je les vois passer en courant, je sais exactement ce qu’ils ressentent, ce qu’ils vivent.

Emotionnellement, j’ai vécu des sensations qui sont les mêmes que celles que j’ai pu vivre quand j’ai été à New-York voir courir les marathoniens Kenyans. Tu as une responsabilité quand tu es coach, tu peux avoir une plus grande joie si la personne que tu coaches réussit mais au niveau émotionnel, cela reste pour moi la même sensation. Cela reste une personne qui passe en courant, qui fait ce que j’aime et à l’intérieur, je ressens la même chose si c’est l’un de mes coachés ou un autre coureur. Sinon, cela voudrait dire que la seule chose qui m’intéresse c’est mon égo par rapport à la performance du gars. Ce qui m’intéresse c’est de voir quelqu’un courir, passer, être dans son truc, le vivre à fond et ressentir ce qu’il fait, que cela soit une personne que je coache ou un anonyme qui me procure une émotion, pour moi c’est pareil.

Après, tous mes coachés, je connais tout leur investissement, toute leur implication, donc forcément, j’ai une sorte de tension car je veux qu’ils réussissent. Pour moi, c’est très important. Et si jamais ils se loupent, c’est un peu moi qui me loupe aussi, je prends ma part de responsabilité. Même si j’essaie chaque jour, chaque semaine de faire le meilleur travail possible. Une fois que l’addition est tombée, tu peux toujours remettre tout en cause mais au final j’essaie de faire le mieux possible, c’est ma dynamique par rapport aux gens que je coache. Maintenant, le résultat reste un résultat, surtout sur ce genre de course.

Est-ce que tu avais réfléchi à te fixer des objectifs de coach pendant cette semaine-là ?

La chose qui m’a parue la plus importante à leur dire à tous, c’était penser à finir. Bien sûr, on s’entraîne tout au long de l’année pour faire un meilleur résultat que celui de l’année passée, mais pour moi la priorité sur ce genre de courses longues et c’était le cas pour tous mes coachés (Paul et Emily étaient sur un 100km, Lolo sur un 140, Sylvain, Julien, Arnaud, Mathieu étaient sur un 170km), c’était de finir. Autant, un élite peut être dans la performance pure (et quelque part, je suis un peu là-dedans), mais je me dis quand tu fais un truc pareil, tu ne vas pas au bout, c’est le vide total…

C’est ce que je disais à Mathieu, Julien et Arnaud, surtout eux vu l’investissement qu’ils y mettent tout au long de l’année : s’il y a bien une récompense qu’ils peuvent se donner et qu’ils peuvent donner à leur entourage, quels que soient leur place et leur temps, c’est d’aller au bout. Parce que si tu ne vas pas au bout, tu ne vis rien du tout. Tout le monde reste sur les frustrations de l’échec.

Donc, rester sur une performance aléatoire moyenne ou mauvaise, ce n’est déjà pas facile, mais rester sur rien du tout, c’est encore pire.

Je me souviens que quand j’ai fini mon premier UTMB (en 2017), j’étais à la rue, je n’étais pas dans les temps que j’espérais ni à la place que j’espérais mais j’étais bien content d’avoir fini et d’avoir pu partager ce moment avec Emmie ma fille et Viviane ma compagne. C’était pour moi la priorité avant tout, aller au bout. Tant que tu ne vas pas au bout, de toute manière, tu ne peux pas espérer quoi que ce soit comme résultat.

Donc, pour moi, il fallait que mes coachés restent tous concentrés sur leur objectif : je pense à une seule chose, c’est aller au bout. Le reste vient au fil de la course. Je considère que, à moins d’un accident, à un moment donné, tu sais que tu vas aller au bout, que rien ne va t’en empêcher. A partir de ce moment-là, tu peux commencer à rentrer dans l’esprit de compétition. Mais sur ce genre de format, il faut garder à l’esprit que tes chances d’aller au bout sont à égalité avec celles de ne pas y arriver. C’est tellement difficile, c’est tellement long. Il faut garder cette soupape de sécurité : « Ma priorité, c’est d’aller au bout ». Quand la première partie du boulot sera faite, alors on commencera à réfléchir autrement. Mais pour l’instant, tout faire pour aller au bout. Je leur ai expliqué que si tu mets la charrue avant les bœufs, si tu ne penses qu’à ta performance et ton temps, tu vas courir vers ça pendant tout le début de ta course et ça te fait courir à l’envers, tu n’es pas en train de construire.

Sur l’UTMB, quand ils sont passés au sommet du Délevret (1ère bosse après le départ), j’ai dit ça à Mathieu car c’était particulièrement important pour lui. Je lui ai dit : « Tu es en train de construire tes fondations. Fais des fondations solides car ce sont elles qui vont te permettre d’aller au bout. Pour l’instant, concentre-toi sur ça. Après, tu construiras tout ce qui va au-dessus, jusqu’à la cerise qui est tout en haut. » Et c’est ce qu’il a très bien fait. En partant doucement, en se concentrant sur lui, sur l’alimentation, sur son rythme, il a construit sa base. Et puis, la base a été construite, les doutes ont commencé à s’évaporer et il a construit le premier étage et puis, plus tard, le deuxième. Et il a pu avancer comme ça. Mais tant qu’il n’avait pas fait la bonne chose au bon moment, il ne pouvait pas se projeter sur autre chose. Et si tu ne cours qu’après la performance et le chrono (je parle pour des coureurs amateurs mais même pour les professionnels), si tu fais les choses à l’envers, la plupart du temps tu te casses le nez. Ce genre d’épreuve est une construction : tu construis toute l’année à l’entraînement, juste avant la course, tu mets tout en place et puis tu construis ta première partie de course et plus ça avance, plus tu rentres dans l’objectif final. Mais il ne faut pas partir avec l’objectif final en premier.
Est-ce que tu t’es posté à des points stratégiques sur les parcours ?

J’ai mis une priorité à des endroits où c’était important que j’y sois car c’était des points clés.
Sur la CCC, c’était à La Fouly, pour faire un point sur la première partie de course. Sur la TDS, comme je ne pouvais pas être à Bourg-Saint-Maurice, c’était Le Cormet de Roselend. Sur l’UTMB, l’endroit crucial c’est Courmayeur, je savais que je devais y être pour tous mes coachés.

Après, il y avait des points qui étaient moins importants pour eux mais pour moi c’était crucial d’y être. C’était tôt dans la course car j’avais besoin de répéter le schéma « On fait comme ça, comme ça, comme ça » parce que dans ce genre d’atmosphère, tu as vite fait de perdre les pédales. Il ne manque pas grand-chose pour que tu perdes le fil. Pour l’UTMB, j’étais au Délevret et j’avais vraiment besoin d’être à cet endroit-là pour leur dire : « Attention les gars, là on vient de partir, c’est le début, il ne s’est rien passé, à part un départ de course extraordinaire, on est toujours dans la fondation. » J’avais besoin de me rassurer moi, échanger le regard, m’assurer que s’il y avait eu une erreur on ait pu la rectifier. Après, c’était trop tard, la machine est lancée et tu peux arriver à Saint-Gervais en ayant déjà ruiné toute ta course. Ils étaient tous dans les clous.

Physiquement, c’est plus dur de courir l’UTMB ou d’être sur le bord du chemin ?

C’est plus dur de courir l’UTMB ! (rires) Même émotionnellement.

Est-ce que tu t’étais projeté sur ce que ça demande comme énergie de suivre des coureurs ?

Je le savais. Je suis presque à la place du coureur. Je ressens ce qu’il ressent. Je vis ce qu’il vit.
Ce qui est particulier à l’UTMB c’est l’atmosphère générale. C’est complètement fou tout ce que tu vis, pour moi c’est d’une envergure incroyable.

Sur une course comme l’UTMB, quand tu cours tu ressens tout ton corps. Quand tu ne cours pas, tu ne ressens pas ça bien sûr. Tu ne vis pas les proches de la même façon car, cette fois, c’est toi le proche. Quand tu cours, tu vois les gens autour de toi qui te regardent, qui vivent le truc, tu leur donnes à ce moment-là et ils te donnent beaucoup aussi. J’ai aussi donné en tant que coach mais ce n’est pas pareil, tu n’es pas l’acteur. Quand tu es au bord du chemin, tu n’as pas le côté souffrance, dépassement que tu vis dans la course. Quelque part, je ne reçois pas la même chose que peut-être quelqu’un qui est habitué à suivre les coureurs car je vis la course comme un coureur et pas comme un supporter. Quelqu’un qui sait ce que c’est que de courir l’UTMB a d’autres ressentis. Quand j’ai vu Julien, Mathieu, Arnaud passer au Col des Montets, j’étais à leur place, je le vivais, je voyais dans quel état ils étaient, ce qu’ils ressentaient.

Penses-tu que cela te permet justement d’avoir les bons mots pour tes coachés ?

Oui, bien sûr. Tu le vis pleinement. Mais c’est quelque chose qui n’est pas contrôlé. Le discours est totalement instinctif, je le sors comme je le ressens car je suis en train de le vivre aussi.

Et tous tes coachés sont allés au bout de leur course.

Oui, ils ont tous fini. Le plus compliqué, ça a été Sylvain. Pour tous, c’est une totale réussite.
Même pour Sylvain, il a fait autre chose que ce que nous attendions mais il est allé au bout de quelque chose. Au Col des Montets, il m’a dit qu’il voulait aller au bout, j’ai fait en sorte qu’il aille au bout. En tant que coach, j’ai entendu ce qu’il voulait et je me suis dit « Qu’est-ce que moi je peux faire pour l’aider ? ». La seule chose que je pouvais faire était de l’accompagner pour qu’il soit en sécurité jusqu’au bout. C’est ce que j’ai fait. Je n’ai pas pris d’autre responsabilité que celle-là. Sa famille était là pour prendre une décision si jamais il avait fallu l’interrompre. Moi je n’avais pas ce rôle. A partir du moment où Sylvain a exprimé sa volonté de terminer, mon rôle était de l’accompagner, le sécuriser, d’éviter qu’il ne se mette en danger en étant seul et du coup de rassurer tout le monde. Sylvain avait promis à sa fille de lui rapporter le bracelet rouge. Je me mets à sa place : si j’avais fait cette promesse à ma fille, il aurait fallu me mettre un coup de fusil pour m’arrêter ! Quand tu fais ta course pour quelqu’un d’autre, ça devient ta priorité.
Tous mes coachés étaient super contents que je sois là au bord du chemin et ils m’ont dit que je leur avais vraiment apporté quelque chose. Donc c’est l’essentiel.

Ce qui était touchant, c’était qu’ils étaient accompagnés de leurs proches. Beaucoup sont venus me voir, me remercier, ils étaient vraiment très gentils. Ils avaient besoin aussi d’être rassurés.
Je leur avais tous dit qu’à un moment donné de leur course, ils sauraient qu’ils n’abandonneraient plus, qu’ils iraient au bout. Et ça, je l’ai rapidement senti. Je savais qu’ils iraient tous au bout.
Mon premier rôle c’était ça.

Après, ce qui compte, c’est l’instant que tu vis. Ce qui va arriver après…

C’est ce que j’expliquais aux personnes qui ne comprenaient pas pourquoi je continuais à me battre pour me qualifier pour l’UTMB avec tout ce qui se passe actuellement. C’est vrai qu’avec ce nouveau système des Running Stones, on a l’impression que le coureur est pris entre le marteau et l’enclume. Le gros qui veut manger le petit, le circuit international, le business… Moi ça ne me concerne pas.

Je n’ai pas eu le droit d’aller faire l’UTMB cette année, certains ne comprenaient pas (et d’ailleurs je n’ai pas compris non plus). Mais je leur disais que moi ce qui m’importe c’est de me retrouver au Lac Combal à 3h du matin avec les étoiles au-dessus de la tête. Le reste, je m’en fous. Moi je veux vivre l’instant, le présent. Ce qui peut arriver derrière, ce qui arrive avant, je m’en fous. Et c’est ça le plus important. Et c’est ça que les coureurs doivent comprendre. Après, tout est subjectif. Tu peux dire que tu as fait une bonne perf et un autre dira que finalement ce que tu as fait c’est moyen. Donc ça ne veut rien dire. Par contre, ce que tu vis toi pendant la course, c’est ça qui compte.

A l’UTMB, c’est le lieu qui t’apporte ça. On n’a pas la chance de courir tous les jours autour d’un massif comme celui du Mont-Blanc. La Terre nous offre des endroits comme ça. Et puis il y a une histoire autour qui le rend prestigieux. Parce qu’un jour il y a des hommes qui ont décidé d’aller conquérir cette montagne. J’ai fait à l’entraînement le chemin qui part de Chamonix et qui va vers l’Aiguille. Je me suis arrêté lire les textes qui accompagnent les stèles qui sont placées en mémoire de certains d’entre eux. C’est un endroit chargé d’histoire. Je ne suis pas un alpiniste mais ce que ces hommes ont fait je suis capable de le ressentir. L’élément naturel est aussi très impressionnant. Et enfin, pour le compétiteur que je suis, j’aime me retrouver sur ce qui est sensé se faire de mieux dans le trail et essayer de rivaliser et de faire le mieux possible. Même si j’ai 54 balais, je suis toujours dans cette envie. Je n’ai pas d’illusion sur ce que je peux faire réellement mais je cours, j’essaie et je fais l’addition à la fin.

Et tu seras sur l’UTMB 2023 puisque tu as décroché ton dossard au Val d’Aran… En attendant, tu vas participer à la Diag, le Grand Raid de la Réunion.

L’UTMB, c’est la compétition pure, le couteau entre les dents.

Ce que tu as en plus à la Diag, c’est l’aventure. C’est une course où tu pars à l’aventure. Tu te retrouves dans des endroits tellement particuliers avec une atmosphère très spéciale. C’est sûrement dû à l’héritage que transporte cette course. Elle est née de ce chemin que prenaient les esclaves pour se réfugier de l’autre côté de l’île. La Diag a gardé ça dans son ADN.

L’UTMB est chargé des notions de dépassement, de performance, d’alpinisme, être le premier à atteindre le sommet. La Diag c’est une autre histoire. Il s’est passé des choses là-bas, je les ressens. On parle ici de qui arrivera à sauver sa peau et à traverser l’île pour survivre. J’aime beaucoup ces 2 courses, comme j’aimais Hawaï quand je faisais du triathlon. Je reste sur ce que je ressens quand je cours. Quand tu prends le départ de l’Ironman d’Hawaï, tu as des images qui te reviennent, conscient ou inconscient, des 12 premiers qui se sont balargués à l’eau en 1976 pour faire un truc complètement débile à l’époque et qui est devenu ce que c’est devenu. Il faut le vivre pour comprendre ça.

Je suis issu d’une culture sport basée sur le chrono, la piste. Mais mon premier entraîneur m’a transmis le dépassement de soi. C’est quelque chose qui est lié au ressenti, pas à un résultat. Pour moi, l’essence de tout, c’est ce que je vis.