René Rovera

Grand Raid de la Réunion 2022

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Emmie, du haut de ses 6 ans : "Maman, il court dans quel pays papa ?
- Sur l'île de la Réunion.
- Oui mais c'est dans quel pays ?
- En France.
- Je ne comprends pas..."

Connaissez-vous l’histoire de l’île de la Réunion ?

Dans nos temps modernes où nous pensons tout connaître et tout savoir de notre propre histoire, l’histoire de l’île de la Réunion est un peu floue en ce qui concerne les premiers découvreurs.

Les Arabes seraient les premiers à avoir cartographié l’île bien avant le XVIème siècle, la nommant Dina Morgabin.

A partir de 1500 les Européens, Portugais, Anglais, Hollandais et enfin Français passeront au large ou s’installeront passagèrement sur l’île, la baptisant d’un nouveau nom selon leur envie. Santa Apollonia, England Forest, Iles Mascarin, île du Bourbon.

Après plusieurs débarquements, tentatives, c’est en 1663 que l’île appelée encore île Bourbon sera définitivement occupée, elle deviendra à part entière la première colonie française dans l’océan Indien. En 1754, l’île est habitée par 3376 blancs et 13517 esclaves, tout va bien dans ce monde…

C’est en 1793 que l’île prendra pour la première fois le nom de l’île de la Réunion.

1794, abolition de l’esclavage en France métropolitaine mais pas à la Réunion ; c’est seulement en 1848 que l’abolition sera proclamée définitivement sur l’île, elle compte à cette époque 60000 esclaves !

Les esclaves qui fuyaient et s’enfonçaient dans l’île pour y trouver liberté et vie en autarcie étaient appelés les Marrons.

Quel rapport entre ce modeste survol de l’histoire de cette île et ma course, me direz-vous ?

Le cirque de Mafate tiendrait son nom d’un ancien chef Marron et Cilaos, Marla, Îlet à Bourses, Grand Place, Roche Plate, Îlets des Orangers sont tous des lieux où les premiers habitants étaient des descendants des Marrons et c’est là que l’histoire de ma course et l’histoire de l’île de la Réunion se rejoignent et que tout prend à mes yeux son sens.

Il est 20h sur Saint Pierre, l’ambiance comme toujours est électrique, un monde fou, des raideurs partout. Diagonale des Fous 2022, le tableau est planté.

Dans le sas élite juste avant le départ les visages en disent long, même si les sourires s’affichent la tension est palpable dans les regards. Ludo, le speaker que tout le monde connaît, tente de faire monter l’ambiance déjà folle. Mais la pression est forte et les regards tendus, fermés, ne visant que la ligne droite sont difficiles à détourner. Ludo en rigole : “Ouf, les gars ont envie d’en découdre !” lâchera t’il !

Une journaliste de Canal + m’interpelle une dernière fois et me pose trois questions : ‘’Que ressentez-vous à cet instant” ; ”A qui pensez-vous” ; ”Que représente pour vous cette course” ?

Sans hésitation, je lui réponds du tac au tac : ”la frousse, à ma compagne et ma petite fille, l’aventure”.

Dans une ambiance indescriptible le départ est donné, les chevaux sont lancés ! C’est parti pour de longues heures et pour un scénario que l’on ne connaît pas, que seules notre tête et nos jambes écriront au fil des kilomètres, sans en connaître l’issue finale jusqu’à La Redoute, si La Redoute il y a !

Deux petits kilomètres aux côtés de Germain et juste derrière la machine Courtney, tout va bien. Comme j’ai l’habitude de le dire à mes coachés, pour le moment c’est la partie construction des fondations, plus loin sur le parcours on commencera à bâtir la maison. J’atteins le premier ravito, Domaine Vidot en compagnie d’Anne-Lise la nouvelle recordwoman du GR20 ; 53ème au pointage, c’est de la folie furieuse, il faut garder son calme et faire les bons gestes. Furtivement du coin de l’œil je vois que je suis dans le wagon d’Antoine ; surnommé ici le métronome, certainement le coureur le plus expérimenté de l’épreuve, ancien vainqueur, 17 participations au compteur et un nombre incalculable de fois dans le Top 10 de la Diag. C’est le bon wagon, il ne faut pas lâcher et coller aux baskets, quitte à prendre quelques petits risques.

Sur la montée progressive vers Notre Dame de la Paix, 38ème au pointage ; une petite tape sur la fesse détourne ma concentration, c’est Sylvain, je pensais qu’il était devant, on échange rapidement quelques mots sur lui mais je reste totalement hermétique à toute information autre que celles de mon corps.

Il fait frais et juste avant Mare à Boue on commence à avoir une météo moins clémente et de circonstance, une légère brume et un crachin typiquement breton nous humidifie et nous refroidit, normal, nous sommes sur les coteaux de Kerveguen !

A la sortie du ravito de Mare à Boue, 26ème, toujours en compagnie d’Anne-Lise et de Sylvain. Antoine n’est plus là et je pense qu’il va rentrer dans les mètres qui suivent, ça ne sera pas le cas ; je le reverrai bien plus tard dans mon périple. Je fonce en restant concentré sans me poser de questions, j’avance tant bien que mal sur un terrain incourable à de nombreuses reprises, la Diag des Fous telle qu’on la surnomme démarre vraiment ici. Des pierres, des roches, des marches et encore des pierres, des roches, des marches !

Sur un relais, Anne-Lise décroche, seul Sylvain reste dans mon sillage. Même si le terrain est très difficile je m’en accommode et je reste relativement efficace dans cette portion pas facile à négocier. Arrivée au Bloc, 21ème au pointage, en quelques mots je comprends que Sylvain a décidé de mettre la flèche en arrivant à Cilaos ; les traces de son périple by UTMB ressortent de kilomètre en kilomètre, ça va être difficile pour lui de donner autant que ce qu’il a pu le faire quelques semaines avant. Je ne peux pas à ce moment précis être d’une aide précieuse pour lui, je veux rester dans ma bulle et ne pas en sortir sous peine de perdre moi aussi mes moyens. Je décide donc de faire la descente sur Cilaos et petit à petit, en faisant le yoyo, Sylvain décrochera et je ne le reverrai plus autrement que sur le bord du chemin avec sa femme Audrey pour me soutenir et m’assister.

20ème, Cilaos est atteint, les fondations sont terminées, il va falloir commencer à construire la maison.

La montée du Taïbit est redoutable, à son sommet on sait que l’on va rentrer dans le ventre de l’ogre et qu’il faudra coûte que coûte en sortir. Même si son estomac est magnifique, avec sa flore et sa faune, son acidité ne peut en être que plus terrible, l’indigestion vous transformera en bouillie et vous en ressortirez recraché à sa sortie tel un légume trop cuit.

A l’approche du sommet de Taïbit, au menu, la première crise du jour à gérer ! Un peu trop entreprenant dans la première moitié de la montée, je subis une hypo ; au sommet je ne sais plus où j’habite, la tête qui tourne, les jambes qui tremblent. Le début de la descente est pénible. Mange René mange, sinon ça va pas le faire ! Je rétablis l’équilibre juste avant d’arriver à Marla, ouf !

Marla, 17ème au pointage, l’ambiance naturelle et sauvage y est magique. Un mélange de calme, de plénitude, où l’histoire de cette île est sous chaque pierre, sous cette terre rougeâtre, c’est comme cela que je le ressens.

Lorsque l’on me pose la question : ”pourquoi la Diag ? Quelle est la différence pour toi entre les deux grands monuments de notre sport que sont l’UTMB et le Grand Raid ?”, j’aime dire que l’UTMB à mes yeux, c’est la performance pure au milieu du gigantisme des montagnes, dans un écrin qu’est celui du Mont Blanc, marqué par la conquête des grands sommets, les exploits des alpinistes du vingtième siècle, le Mont Blanc, les Aiguilles, les Drus. La Diag, elle, c’est l’aventure, c’est cette impression de marcher sur les pas d’une nature et d’une terre où tout le poids d’une histoire tragique, celle des esclaves, est là, présente dans chaque petit morceau vivant ou mort de cette île. A chaque participation, dans des moments de pensées en course, j’ai ressenti ça et je me dis : ” sois respectueux René, encore plus, tu poses peut-être le pied pour ton loisir là où un homme il y a plusieurs siècles avant, le posait lui pour survivre et fuir la folie des hommes blancs !”

Certains trouveront qu’il n’y a rien à voir entre les deux sujets, une course et l’Histoire, pas moi. Je ressens beaucoup d’émotion et c’est aussi pour cela que je cours. Le Trail c’est la découverte de la nature, de la terre plus ou moins sauvage, c’est un voyage.

Plaine des Merles, Sentier Scout, Grand Place les Bas, je m’accroche, je me relance dès que j’ai l’impression de ralentir un peu trop et je me bats mentalement pour ne pas finir en légume trop cuit à la sortie de Mafate.

La section entre Grand Place et Roche plate sera dure, très dure. Les montées, remontées et descentes n’en finissent plus, que c’est dur ! Il ne faut rien lâcher, à Roche Plate je suis 14ème, j’approche de mon score de 2018 et je me dis, ce n’est pas fini René, lâche rien, il faut sortir de Mafate le plus vite possible et tu rentreras alors dans la dernière partie de ta course, tu poseras le toit de ta maison pour terminer enfin cette course de dingue.

Dos d’Âne est là, 13ème au pointage, je bascule au sommet au milieu de la foule et de la ferveur Réunionnaise toujours présente.

Je sais que derrière plus personne ne me reprendra sauf peut-être un coureur, le métronome Antoine, celui qui jusqu’au bout lui non plus ne lâchera rien. Entre le chemin Ratinaud et la Possession je sens bien que je n’avance pas, efficace et facile sur les parties roulantes ou propres, je bute sur chaque pierre et je perds beaucoup de temps sur les parties techniques, c’est difficile et je subis. La sanction ne tardera pas à tomber à l’arrivée à la Possession : alors que je me ravitaille, j’entends un cri d’encouragement : ”Allez Antoine !” j’ai perdu 11′ entre Dos d’Âne et la Possession sur Antoine, il est revenu !

Va falloir livrer bataille ! En allant passer au pointage dans le ravitaillement officiel, je croise Antoine qui se ravitaille assis, on se cherche du regard au-dessus des épaules de nos assistants, on se capte et dans un regard qui en dit long, on se dit et on sait : ça va saigner !

Le temps de rejoindre le bord de mer et la route qui mène au Chemin des Anglais, Antoine me passe dans un souffle, il va chercher à me faire mal de suite, à ne me laisser aucune chance de prendre ses pieds. Courir ”vite” à plat sur la route même en état de délabrement je sais faire et je vais le faire, je réagis de suite, je passe la vitesse supérieure, en mode automatique, et recolle à ses baskets sans perdre une seconde. C’est parti pour la bataille finale !

Le début du chemin des Anglais monte un peu, je colle, je fixe ses baskets, ne lâche rien René, bats-toi, c’est pas fini !

Entre le début du chemin des Anglais et la Grande Chaloupe ça rigole pas, comme on dit dans le jargon de la course, on envoie du pâté et je ne le lâche pas d’un mètre.

Arrivée à la Grande Chaloupe, j’attrape au passage le maillot officiel de la course lancé par Sylvain qui est là et avec lequel je dois terminer la course, une particularité de la Diag ! Le même tee-shirt au départ et à l’arrivée est obligatoire pour tous. Dans la descente du chemin, qui est très dangereuse et technique juste avant Grande Chaloupe, on double un gars, je suis 12ème.

Sortie de Grande Chaloupe, dernière montée, dernière souffrance, on se retrouve à trois Antoine, Clément et moi, on se livre une belle bataille. Clément est encore solide dans les parties les plus raides, il nous fait mal mais on ne cède pas. Plus à l’aise dans les parties descendantes, Antoine et moi prenons un peu d’avance à chaque fois mais là aussi à chaque fois Clément revient. Je me dis dans la tête qu’au vu du profil final de la course, je finirai soit 12 soit 11 car Clément manifestement ne peut plus descendre vite. On monte, on monte, Colorado approche et le dénouement de l’histoire aussi.

Il est 22h40′ à l’approche du dernier sommet de la course, quelques petites minutes avant je prends un dernier gel car je commence à ressentir une petite sensation d’hypo resurgir, j’ai mal au cœur et des coups de sommeil s’emparent de moi. Je ne sais plus trop où je vais, je m’accroche mais je sens que quelque chose ne va pas ! Je perds un peu ma lucidité, loupe mes appuis et le chemin à plusieurs reprises. Toujours dans le sillage d’Antoine je perds 10 mètres dans les tout derniers mètres de la montée. En vieux briscard proche de l’agonie j’invite Clément qui me colle aux baskets à passer devant. De toute manière j’ai du mal, je n’y arrive plus, je titube un peu sur le chemin. Je me dis dans un moment de lucidité très court que si je mets Clément entre Antoine et moi le trou sera moins conséquent et il me sera alors plus facile de le reboucher progressivement ; un peu comme sur une course vélo, tu prends l’aspi du gars qui te passe pour t’aider à recoller au coureur échappé juste devant.

Mais voilà, le temps de laisser passer Clément, Antoine a creusé encore un peu plus l’écart, 20m puis 30m ; Clément recolle dans une dernière accélération, moi je n’en peux plus, mes prédictions de 11 ou 12 place s’envolent !

C’est fini pour moi, le sommet est là, en 200m je viens de perdre toute illusion de faire encore un peu mieux au niveau classement. Sur le plat qui mène à Colorado il n’y a qu’une centaine de mètres mais à l’entrée du ravito je pointe déjà à plus de 2 minutes de la doublette. C’est la fin de ma bataille et de ma Diagonale, j’ai déposé les ”armes” je n’en peux plus, j’ai assez donné, c’est dur mais c’est la course.

Après une pause au ravito je repars tranquillement, la course est finie pour moi, la descente n’est plus qu’une formalité et je rentre dans ce fameux stade de la Redoute, heureux, vidé.

26H54’40”. Je suis content, fier de moi et du travail accompli pour y parvenir. 13ème comme en 2018 mais 1h30′ plus vite, c’est pas mal pour un jeune vieux !

Merci à tous, merci à Audrey, Sylvain, mon Team et nos partenaires,

Merci à Daf et la Team Daf, aux organisateurs de cette incroyable course,

Merci à mes amis, à Nicolas, Alex et OrganiCoach, à ma famille, à mes coachés, aux Réunionnais et leur gentillesse particulière, à ma vallée du Haut Verdon et mon village Beauvezer que j’aime tant, pour leur soutien, et enfin et surtout,

Merci à Viviane ma compagne et Emmie ma fille qui chaque jour, chaque heure, chaque minute et seconde de ma vie la rendent encore plus belle à vivre !