René Rovera

UTMB 2017

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UTMB 2017 version longue

Alors que je traînais quelques instants sur ce célèbre réseau social qui aujourd’hui il faut bien le dire est un des moyens les plus rapides pour tout savoir des uns et des autres, par hasard, je me suis mis à relire tous vos commentaires que j’avais reçus sur mon mur à chaque pointage et passage officiel durant mon UTMB 2017.
En lisant chaque commentaire, l’émotion a petit à petit ressurgi !
L’un d’entre eux me disait :
Sarah ”Magnifique René !!! On a vécu ta course en direct grâce à la coachette. Un objectif joliment rempli. Hâte de lire ton récit de course. Bravo ! Bon repos et une bonne recup”
A ce moment-là, même si parfois cela peut fatiguer certaines personnes que chacun d’entre nous, sportif ou autre, commente ses moments de vie, je me suis dit que ce qui m’importait ce n’était pas ce côté-là mais ce qui comptait aussi beaucoup plus à mes yeux c’était le partage, le don de soi, avec humilité. Dans notre humanité qui en manque trop souvent je me suis convaincu à cet instant que l’important c’était aussi ça et tant pis pour les non convaincus ; d’ailleurs je ne cherche à convaincre personne mais juste à redonner ce que le sport me donne chaque jour de ma vie depuis ma plus tendre enfance.
J’ai donc ressenti cette envie de l’écrire une nouvelle fois. J’aurais pu vous raconter simplement chaque instant de ma course que j’ai vécue si intensément et parfois si douloureusement aussi, mais j’ai choisi par la même occasion de rendre hommage à mon amie, ma fille, mes amis et à vous tous en reprenant le fil de ces 27h de fou, cela me semblait à cet instant tellement plus important que ma simple petite histoire.

Il est 18h30 ce jour du 1er septembre, la musique qui tape dans mes oreilles fait monter la pression, j’ai envie de crier toute ma joie et ma motivation d’être présent sur cette ligne de départ. Le chemin a été tellement long ces deux dernières années et tellement périlleux que rien que d’être là c’est déjà une petite victoire pour moi. Viviane elle a pris une heure auparavant un avion qui la mènera de Nice à Genève ; sa sœur Anne-Claire, sa fille Elsa et ma petite Emmie sont elles dans la voiture pour foncer vers Genève la récupérer. Sur mon mur le premier message tombe :
Virginie ” Bon courage pour cet UTMB 2017 un peu pluvieux et frisquet… Lâche rien ! Go go go !! À tout à l’heure sur le bord des chemins ”
Tout le monde est sur le pont !
5, 4, 3, 2, 1 boum c’est parti je me lance dans un cri de joie et de rage, Viviane a tout juste atterri à Genève. La course poursuite du ravitaillement commence pour elle, moi je cherche juste à profiter de ces premiers instants. Les premiers kilomètres sont avalés avec facilité, je me pose juste la question lorsque la situation me le permet de me demander si elle aura le temps d’arriver aux Contamines, premier ravito où je dois la retrouver.

Le Delevret km14,

sur mon mur :
Clara ” Bonne chance et bon courage Rene ! ”
Stéphane ” Go go go carcasse ”
La nuit tombe déjà et Saint Gervais km 21 arrive. C’est de la folie, un monde et une ferveur de fous, c’est génial !
Laurent lui sur mon mur envoie ”Lâche rien mon René’, il est 20h45′.
Frontale sur le crâne, la pluie fait sa première apparition ! On le savait, la course s’annonce terrible, il faudra s’accrocher et commettre le moins d’erreurs possible !

Les Contamines km32.

Juste avant la tente Alexandra est là pour m’encourager et me donner les consignes du coach Nico pendu à son téléphone quelque part ailleurs sur la planète !
Je comprends donc à ce moment-là que Viviane est bien là Je n’ai pas encore eu le temps de mettre un pied dans la tente que son téléphone sonne déjà, mon père qui veut des nouvelles, le bip de l’organisation a détecté mon passage juste avant la tente !
J’entre dans la tente, Viviane et Emmie sont là, que du bonheur, je me change, me ravitaille, échange quelques mots, les embrasse et repars.
Il est 22h et sur mon mur
Fabrice ” Venga vamos profite quand tu peux du paysage grandiose du Mont-blanc ”
Vincent ” FORZAAAAAAAAAAAA le Roverator ”
Marie ” Força ”
Cette fois-ci la course est vraiment lancée je ne suis plus tout seul !
La montée vers la Croix du Bonhomme s’annonce tout simplement dantesque ! Vent, pluie, eau qui ruisselle de partout, température sous les 0 degré et enfin pour finir la neige ! Tout est là pour nous rappeler que face à la nature on n’est pas grand chose et qu’il faut savoir courber l’échine et espérer qu’elle daigne bien nous laisser passer.

La Balme km40, il est 23h20 !

Raymond ” Allez néné !!! Allez ça va revenir…tu lâches rien… ”,
So mnac ”A fond René bonne chance ”,
Fabrice ” Aller René la nuit sera longue Vamos Amigo que la force soit avec toi à demain matin ”

Refuge de la Cro km45.

La neige et le vent glacent les cuisses mais je me sens bien, je me sens libre presque seul au monde. Il est toujours aussi bizarre sur une course de ressentir que parfois on puisse se sentir aussi seul et qu’au détour d’un virage eh bien non ! Devant ou derrière un coureur apparaît subitement et vient casser ce moment que l’on croyait de solitude.

Les Chapieux km50,

3h après mon passage aux Contamines Viviane et Anne-Claire sont là !
Le parcours du combattant ne se propose pas qu’à moi ! Emmie, elle, dort dans la voiture, il est 1h05′ du mat et la planète FB tourne toujours !
Amélie ” On est avec toi ! Force et sérénité ! ”
Les étoiles subitement font leur apparition dans la montée du Col de la Seigne, les éléments se sont calmés, que la montagne est belle comme dirait un célèbre chanteur.
Je remonte place par place en direction de Courmayeur prochain point important où je verrai Viviane et Emmie si elle n’est pas encore dans les bras de Morphée
Dans la descente à l’approche du Col de Chécroui une silhouette familière, là juste devant moi, marche en titubant difficilement ! C’est Seb ! Purée les boules ! Surpris, je ne sais quoi lui dire à mon passage ! On échange quelques mots pour se soutenir et s’encourager mais son regard en dit long, il n’ira pas beaucoup plus loin ! Pendant quelques minutes je pense à lui et à la croix qu’il est en train de porter ; je la connais je l’ai souvent portée aussi et je suis triste et déçu pour lui. Il mérite beaucoup mieux, que c’est dur la loi du sport dans ces moments-là !

Courmayeur km78.

La course me rattrape rapidement et je plonge sur Courmayeur km 78 pour surgir dans ses petites ruelles typiques sombres. Je vais toujours bien, Viviane est là prête idem qu’aux Contamines on échange quelques mots. Julien est là et toute l’équipe de Garmin aussi, ils ne sont pas simplement le partenaire du Team ce sont aussi des amis, des personnes avec qui on partage tout au long de l’année des moments conviviaux et sympas. En sortant du ravito une voix m’appelle dans la nuit froide ! « René ! » C’est Anne-Claire qui postée là juste à la sortie porte dans ses bras Emmie qui me sourit avec ses yeux si pétillants et ses petits cheveux qui voltigent dans le vent !
Il est 5h05′ du mat et sur FB les commentaires se sont fait plus rares mais pas les like !
Alicia dort d’un œil
Direction le point culminant du parcours : le grand Col Ferret, lieu pour moi de tout les dangers où j’avais dû poser les armes en 2015 incapable d’aller plus loin ! J’ai travaillé ce passage-là avec Cathy ma psychologue qui pratique l’hypnose Ericksonienne. Je lui avais dit dans ma réflexion que lorsque j’avais passé ce point le soleil qui venait de se lever avait jeté une lumière sur moi comme une évidence de mon état physique du moment ! Comme si la nuit avait caché les douleurs et que le jour, lui, les avait mises en avant. Une grande claque lumineuse et c’en était fini pour moi de cet utmb 2015 !

Refuge Bertone km83 , Refuge Bonatti km91,

Alicia de la planète FB dort toujours d’un œil et le jour pointe le bout de son nez.
Au loin je peux commencer à apercevoir les débuts de cette montagne du Grand Col Ferret.
Enfin ce que l’on peut en voir, seulement la partie basse ! Un nuage noir et menaçant s’accroche dessus tel un socle et je commence à me poser la question : ”et si les organisateurs étaient contraints de stopper la course ?!”

Anourvaz est là km96,

je décide de mettre le pantalon et la veste de pluie, la seule certitude que j’ai à ce moment-là c’est que je ne verrai pas le soleil au sommet
Fabrice de la planète FB lui émerge de sa nuit, il m’avait prévenu à demain matin !
” Aller Vamos le jour est levé go go ”, il est 8h04′
Au passage du grand col les conditions sont terribles. Le vent souffle fort, le brouillard et le froid fouettent mon visage, je ne réfléchis pas et je marche sur mes peurs, rien ne m’arrêtera plus !

Grand Col Ferret km100

Amélie ” Super méga top bonne nouvelle de bon matin ”
Virginie ” Quel panache !!!! Tu remontes au classement petit à petit ! Fais-nous vibreeeeer !!! ”
La Fouly approche je me souviens de 2015 où incapable de me sortir de ma torpeur et de mes douleurs j’avais appelé Viviane en pleurs comme un enfant, je n’en pouvais plus et je voulais juste la voir et abréger mes souffrances.
Là, la musique n’est pas la même, j’ai encore de bonnes jambes ! J’apperçois au loin Viviane qui pousse Emmie dans sa poussette, Alexandra est toujours là perchée au téléphone avec Nico

Nous sommes au km 110.

Quand ce n’est pas la planète FB c’est le téléphone de Viviane qui vibre à la réception de sms de soutiens ; Eric, Audrey, Dimitri sont là aussi derrière la toile.
La portion qui mène à Champex a été modifiée cette année et le goudron trop présent fait mal aux jambes mais je tiens bon . Les premiers signes de gêne au niveau de mon sacrum apparaissent, il va falloir gérer ça en plus, je dois aller au bout !
Sur le bord un peu plus loin je reconnais ma voiture garée sur le bas côté de la route et là surprise une petite fille d’un an tout juste qui pour être honnête ne doit rien comprendre à la situation, sourit et tape sur la portière de la voiture comme une dingue !!
Mais que lui arrive-t-il ?
Comprend-elle que la situation se durcit pour moi ?
Quoi qu’il en soit c’est à ce moment-là que je sais que même sur la civière je passerai cette p….. de ligne d’arrivée !

Champex Lac km 123, il est midi.

Je rentre dans la tente, Viviane toujours là, prête, me réconforte, me parle. Je mange, je bois, je me change et je repars. Sur le passage tout le monde est là, Anne-Claire, Emmie, Elsa et Alexandra, ça fait du bien. Comme si il y avait une connivence et que les gens sentent que ça devient dur pour moi, les messages affluent sur la planète FB !
Fabrice ” Venga René tu tiens le bon bout ça va le faire Vamos ”
Patricia ” De tout cœur … et muscles ”
Aline ” waouh, encouragements de Ganon !!! ”
Ganon c’est chez moi:-) mes voisins sont aussi présents sur le flux !
J’avais travaillé avec Cathy aussi sur l’idée qu’à partir de midi si mon corps me le permettait j’essaierai de passer une vitesse. Malheureusement, cette vitesse il me sera impossible de la passer. Je cherche à ne pas me faire mal pour ne pas empirer ma douleur plus qu’à accélérer, je dois tenir et m’accrocher pour arriver à Vallorcine.
Les éléments se déchaînent de nouveau, il fait toujours aussi froid, je m’accroche à tout ce que je peux dans ma tête.

Giètes km135 passe, Trient km139 aussi.

Viviane est là toujours de bon conseil et aux petits soins. Fabrice lui de la planète FB aussi : ” Aller Mon Ami a Tope ”.

Les Tseppes km143,

la boue rend le terrain impraticable c’est Holiday On Ice dans les prés !
La descente sur Vallorcine est dure pour moi, trop dure, mais je serre les dents.

Vallorcine km150, j’y suis !

Comme on dit dans le milieu sportif ça sent l’écurie.
Seb est venu m’encourager, Sylvain aussi et bien d’autres aussi sont là, ça crie, ça chante, ça tape dans les mains. Dans l’assistance j’entends même un ”Allez le Gouacheur !” Un surnom familier qui m’était donné lorsque j’étais triathlète professionnel il y a de cela quelques années en arrière.
Moi dans ma souffrance je ne pense qu’à avancer encore et encore. Je serre Emmie contre moi une dernière fois et dans l’oreille je lui glisse discrètement un ”à tout à l’heure sur la ligne d’arrivée”
Avec un ” agheuuahh !! ” et un regard interrogatif, elle acquiesce

Col des Montets km153

Clara ” Almost there! ”
Fred ” go rené ! ‘
Le final, surtout à partir de la Flégère km 161, sera vraiment un parcours du combattant. J’ai mal, j’ai froid, je n’avance plus beaucoup et tous mes muscles sont tétanisés par le froid ! Que c’est dur !
Je ne pense plus qu’à une chose : voir Viviane et Emmie sur la ligne d’arrivée, j’en oublie tous les gestes de course, plus de veste, plus de bouffe, plus rien, j’avance tel un robot. Dans la dernière partie de la descente, Sylvain et Laurent viennent à ma rencontre, je n’ai plus la force de savourer leur soutien ou de leur exprimer mon émotion à ce moment-là mais il sont là !

Chamonix km170 après 26h56′,

à bout de force je passe cette ligne d’arrivée, heureux comme un cadet, je suis simplement content. J’étais venu pour ça et je l’ai fait ! Il n’y a pas de petite victoire en sport à partir du moment où on se donne les moyens de réussir ses rêves quels qu’ils soient ! A partir de ce constat-là tout devient une victoire à mes yeux, c’est ce que je pense profondément depuis une soirée de 1998 où j’étais allé encourager et voir finir les derniers finishers de l’Ironman d’Hawaï que je venais de terminer à la 7ème place. Leur joie, leur plaisir, même 10h après les miens étaient les mêmes !

Viviane et Emmie dans mes bras, mes amis devant moi, toute l’équipe de Columbia juste derrière la barrière et dans ma tête vous tous qui m’avez soutenu durant cette longue aventure, j’étais heureux tout autant que François le grand vainqueur de cette merveilleuse édition
Merci.